« Le soufisme, c’est l’orientation sincère vers Dieu, par les moyens qui Le satisfont et de telle sorte qu’Il soit satisfait » (Cheikh Zarruq)
Mise en garde
Parmi les traqueurs de l’innovation, certains imaginent purifier l’Islam de ses scories en assimilant le taçawwuf à une secte.
On ne peut nier qu’il y ait eu ou qu’il puisse y avoir -et plus que jamais de nos jours- des charlatans et des illusionnés qui s’en réclament, mais ni plus ni moins que d’autres égarés présents dans la communauté en son ensemble.
Sans or véritable, il n’y aurait pas de faux or. Balayer le tout n’épuise ni la mine, ni les chercheurs d’or mais démontre tout simplement un manque flagrant de discernement.
On pourrait encore évoquer l’image de celui qui jette le bébé avec l’eau du bain …
L’imam Fakhr-ud-din Al-Razi, commentateur reconnu du Noble Coran, a dit :
« Sache que parmi les nombreuses sectes qui se séparent de la communauté, il ne faut pas mentionner les soufis, c’est là une faute (une erreur) car il ressort de leurs paroles que la voie de la connaissance de Dieu est une purification et un dépouillement de toutes les attaches mondaines et grossières » … « c’est une excellente voie… »… « Ils combattent par la retraite intérieure et l’invocation (Dhikr)… suivent la politesse (al adab) avec Dieu. Et ils sont le meilleur groupe parmi les hommes. » (1)
Le taçawwuf est le creuset de la sainteté islamique, l'excellence (Ishan) et les véritables soufis (2) sont les dépositaires de la Sagesse divine, les Amis de Dieu (awliya'Allah) contre lesquels il est extrêmement dangereux de s’attaquer, ainsi que Dieu l’a dit par Son Envoyé (saws) :
«Celui qui se fait l’ennemi d’un de Mes Elus,
Je lui ai affectivement déclaré la guerre … »
(Hadith qûtsi rapporté par Al Boukhari).
« Celui qui les as vus M’a vu. Et celui qui s’attaque à eux, c’est à Moi qu’il s’attaque. Celui qui les choisit, c’est Moi qu’il a choisi, Leur amitié pour eux est l’amitié pour Moi. L’hostilité envers eux est l’hostilité envers Moi » (3)
« Quand Dieu exalté aime quelqu’un, l’Ange Gabriel lance cet appel : « Dieu exalté aime untel, aimez-le donc ! » et ainsi il devient aimé des habitants du ciel et on le rend sympathique aux habitants de la terre » (ura)
« Aime ceux que Dieu a aimé (awliya’Allah) et fais en sorte de te faire aimer d’eux, car Dieu regarde dans le cœur de ses saints soixante dis fois par jour et chaque nuit. Peut-être trouvera-t-il ton nom inscrit dans le cœur de l’un d’entre eux. Il t’aimera alors et te couvrira de Son pardon. » (4)
De même qu’il faut respecter tout croyant qui oeuvre selon ce qu’il sait, à la mesure de sa capacité, de même il faut respecter ceux qui oeuvrent par désir de la Face d’Allah. Nier la part du Vrai qu'on ignore et la condamner comme infidélité (kufr) pour conforter sa propre croyance est iniquité :
« Ne chasse pas ceux qui invoquent leur Seigneur soir et matin parce qu’ils veulent Sa Face. Dresser leur compte ne t’incombe pas plus qu’à eux de dresser le tien. Aussi les chargerais-tu, qu’entre tous, tu serais inique » (Coran VI, 52)
Or, “…les iniques suivent leur passion à contre-connaissance.…” (Coran XXX, 29)
“Serait-ce qu'ils ne voient pas que Dieu répand Ses Dons sur quelconque Il veut, ou bien les mesure ?” (Coran XXX, 37)
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(1) Extrait du livre sur « les fondements de la séparation entre les musulmans et les associateurs (al-mushrikin) », chapitre concernant les états spirituels
(2) Ne peut être appelé soufis que ceux qui ont parcouru la voie, et ils sont peu nombreux, les autres ne pouvant être appelés qu’aspirants (mouridun) ou itinérants (salikin).
(3) Maître et disciple de Sultân Valad, p. 94 aux Editions Sindbad.
(4) Bayazid al Bistami
Témoignages
La préséance des soufis, les « réalisés » (muhaqqiqûn) ne tient pas à la multiplication de leurs actes de piété. Le Prophète (saws) disait d’Abu Bakr (das), son compagnon de la caverne et du Bassin (hadith Omar (das)- at-Tirmidhi) qu’il n’était pas supérieur par le nombre de prières, d’aumônes ou de jeûnes mais à cause de ce qui était dans son cœur.
Et c'est bien ce dont il s'agit : LE CŒUR de l’homme, cœur ou quintessence de l’Islam.
Et c’est bien ainsi que les représentants des quatre écoles sunnites (l’Iman Abou Hanifa, l’Imam Malik, l’Iman Chafi’i, l’Imam Ahmad Ibn Hanbal), éminents docteurs dans les sciences pour résoudre les affaires d’ici-bas étaient avant tout des ascètes qui visaient la « Face d’Allah » par le combat spirituel pour la purification du cœur ; dans cette optique, ils enseignaient et composaient des ouvrages sur la science des cœurs.
L’Imam Abou Hanifa (700-767) était un gnostique dans la Voie par Ja’far al-Sadiq, dont il fut le compagnon ; il fut lui même un maître spirituel. (1)
L’Imam Malik (711-795), « astre le plus brillant » (selon l’expression de Chafi’i) dira : « celui qui combine les deux [la connaissance ésotérique et la connaissance exotérique] atteindra la Vérité » (2)
Selon une autre version : « Celui qui étudie la jurisprudence (tafaqaha) et n'étudie pas le soufisme (tacawwuf) est un pervers (fâsiq); et celui qui étudie le soufisme et n'étudie pas la jurisprudence est un hérétique (zindîq); celui qui allie les deux, atteint la vérité ou est le parfait réalisé (tahaqqaqa) » (3)
L’Imam Chafi’i (767-820) dira que parmi les choses de ce monde qui lui ont plues : «… traiter les gens avec indulgence et suivre la voie du taçawwuf » (4)
On raconte qu’une nuit il vit en songe l’Envoyé (saws) déposer sa salive sur la sienne et dire : « le Seigneur Très haut est avec toi ; en avant ! ». Dans le même songe, il vit l’Emir des croyants qui lui donna son anneau et c’est à la suite de cela dit-il « que j’eus part à la science de Mohammed et à celle d’Ali. » (5)
Il puisa donc dans le Trésor sanctissime de la science du Prophète (saws), science abyssale qui value cette déclaration de Abû Hurayra (das) : « J’ai gardé précieusement en ma mémoire deux dépôts de la connaissance que j’ai reçu de l’Apôtre de Dieu. J’ai divulgué l’un ; mais si je divulguais l’autre, vous me couperiez la gorge »
Quant à Ali (das), en montrant du doigt sa poitrine dit : « Il y a ici des sciences abondantes. Si seulement je trouvais quelqu’un qui fût capable de les supporter ! »
L’Imam Ahmad Ibn Hanbal (780-855), cœur ardent dans la voie de Dieu, conseilla son fils en ces termes : « o fils, tu dois tenir compagnie avec les gens qui pratiquent le soufisme parce qu’ils sont une fontaine de savoir et leurs cœurs sont en constante invocation…. » (6)
Il divisait l’ascétisme en trois degrés :
- renoncer à ce qui est illicite : c’est la pénitence du commun des fidèles ;
- renoncer à l’abus de ce qui est légitime : c’est la pénitence de l’élite des fidèles ;
- renoncer à tout ce qui peut distraire de Dieu : c’est la pénitence des initiés. » (7)
Leurs suivants, tels que at-Tirmidhi, Nawawi, ainsi que plusieurs autres (Ibn Hajar, al-Soubki, al-Souyouti….) confirmèrent le soufisme comme les racines profondes de la Charia.
Al-Hakim at-Tirmidhi, (845-932) faqih (jurisconsulte) et grand mouhaddith (savant du hadith), était un maître spirituel incontesté et l’un des plus grands auteurs du Taçâwwuf ; on lui doit pas moins de soixante dix livres et épîtres. Parmi les ouvrages les plus importants, on peut citer : Le Livre de la profondeur des choses ( dont on doit une première traduction française à Geneviève Gobillot ), Le Livre des nuances, (Kitâb al- furûq wa manc al- tarâduf.), Le sceau de la sainteté (Khatm al awliyyâ’). Il écrivit également à la demande d’un disciple : Les demeures des serviteurs dans l’adoration de Dieu (Manâzil al’ ibâd mina L’ibâda).
L’Imam Nawawi, (1233-1277) suivait la guidance du cheikh Zakarchi et a exposé les cinq fondements de la voie soufie :
- La piété (soumission) à Dieu en secret et en public.
- Suivre la Sunna dans ses paroles et ses actes.
- La satisfaction à l’égard de Dieu dans la nécessité (le peu) ou l’abondance (al kathir).
- Etre égal avec le créateur dans le bonheur comme dans le malheur.
- Revenir à Dieu dans la joie comme dans l’adversité (8)
Al-Ghazzâli (1058-1111) maître dans le fiqh, par le taçawwuf, revivifia les sciences religieuses.
« Sache que le taçawwuf consiste en deux choses : être véridique envers Dieu, se comporter dignement envers les autres… Seule la vérité dépouille le serviteur de son ego pour le consacrer aux ordres de Dieu et au service de ses semblables. Quiconque se plaît à transgresser la loi divine ne peut être un soufi, même s’il prétend être tel. » (9)
« Sache avec certitude que les soufis suivent tout particulièrement la voie de Dieu ; leur conduite est parfaite, leur voie droite, leurs caractères purs et vertueux…. car tout ce qui en eux … extérieur ou intérieur, s’allume à la flamme de la prophétie dans sa niche. Et il n’est d’autre lumière, sur la face de la terre plus pure et plus claire que cette lumière… »
« Que dire d’une voie où la purification consiste, avant tout, à nettoyer le cœur de tout ce qui n’est pas Dieu… » (10)
L’imam Ibn Taymiyah, (1263-1328), bien que sélectif a cautionné le soufisme et sa conformité au Coran, à la Sunna, et au consensus du Salaf en citant les noms de maîtres qu’il admirait, ces « gens de la droiture parmi les « salikin » (les itinérants vers Dieu) » qui exigent l’obéissance à Dieu jusqu’à leur dernier souffle. (11) Il fit, entre autres, l’éloge de Bayazid, de Junayd et de ce grand saint reconnu par toute la communauté musulmane : le Cheikh Abd al-Qâdir al-Jilânî (12).
On dit même qu’il aurait appartenu à l’Ordre soufi de ce dernier avec d'autres savants Hanbalites très connus. (13) Ce qui serait confirmé par le fait que Ibn ul-Qayyim, son disciple, ait commenté en profondeur (trois volumes de 1600 pages) l’ouvrage célèbre d'al-Ansârî al-Harâwî intitulé: Manâzil al-Sâ'irîn [Les Sentiers des itinérants vers Dieu] cherchant à en expliciter la subtilité des allusions spirituelles.
Junayd disait : « le tacawwuf, c’est que l’Etre divin te fasse mourir à toi-même et qu’Il te fasse vivre en Lui »
« cette science qui est nôtre est subordonnée au Livre et à la sunna ; et quiconque n’a pas appris le Coran, n’a pas transcrit la Tradition (hadith) et n’a pas étudié la Loi, ne saurait servir d’exemple », (14)
Abd Al-Qâdir Jilani conseillait ainsi son fils : « O mon fils ! que Dieu t’accorde Sa grâce, à toi comme à tous les croyants ! Avant toute chose, je te recommande la piété, l’obéissance à Dieu et le respect de la Loi divine.
Comme tu sais notre Ordre a pour base le livre saint, la sincérité du cœur, la générosité, la libéralité,ne causer du tort ou préjudice à personne, patience et endurance dans les épreuves et le pardon des fautes à tous nos frères de l’humanité.[…]
En outre, sache que le soufisme est une disposition de l’âme « Hal » qui ne s’éveille ni sous l’influence des polémiques de grammairiens, ni par leurs palabres sophistiques […]
Apprends encore, mon fils, que le soufisme repose sur huit vertus : la générosité d’âme (sakhâ’), l’acceptation du destin (ridâ), la patience (sabr), la discrétion du langage (ichâra), l’exil volontaire (ghurba), le port de la laine (lubs al-sûf), la pérégrination (siyâha), et la pauvreté (faqr). La générosité d’âme est représentée par Abraham, l’acceptation du destin par Ismaël, la patience par Job, la discrétion du langage par Zacharie, l’exil par Jean, le port de la laine par Moïse, la pérégrination par Jésus et la pauvreté par Muhammad.» (15)
Plus proche de nous dans le temps :
- Le grand mufti d’Egypte, Muhammed Abdûh (1849-1905) dira : « Le rôle des soufis est de guérir les cœurs et d’éliminer tout ce qui voile l’œil intérieur. Ils s’efforcent d’établir leur demeure en l’esprit, devant la face de Celui qui est la très haute Vérité, jusqu’à ce qu’ils soient, par Lui, retirés de tout ce qui est autre ; leurs essences étant éteintes en Son essence et leurs qualités en Ses qualités. Parmi eux, les gnostiques, ceux qui ont atteint le but de leur voyage, sont, après les prophètes, au plus haut degré de la perfection humaine » (16)
- Le Cheikh Muhammad Ben Siddiq : ce très célèbre savant du Hadith de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, était également reconnu pour sa sainteté ; il descendait de la lignée du Prophète (saws) par son père et du grand Cheikh soufi et juriste Ahmed Ibn Ajiba par sa mère, lequel disait : « Le plus proche de Dieu est celui qui, en secret, contemple et, au dehors puise aux sources de la Loi. Celui-là reçoit l’héritage au complet. Il est comblé des plus grandes richesses, car il suit les traces de l’Aimé (Al-Habib : un des noms du Prophète Muhammad (saws) » et « rendre le cœur vertueux en le purifiant des caractères blâmables et en l’embellissant des caractères louables pour le préparer à recevoir les grâces et les manifestations divines et à observer les convenances de tous les instants (acab al-awqât) est la science du soufisme ».
Plus proche encore :
- Le Cheikh égyptien Abder-Rahman Elish el Kebir était conjointement, chef du madhhad mâleki à El-Azhar, la plus grande université du monde islamique et maître soufi.
- Cheikh Muhammad Zakî Ibrâhîm (1906 - 1998), grand juriste d’Al-Azhar versé dans la science du hadîth, était également un grand maître spirituel. Son père, également savant d’Al-Azhar, le Cheikh Ibrâhîm Al-Khalîl Ibn `Alî Ash-Shadhilî Al-Husaynî est l’auteur d’un livre (17) sur la rigueur et les règles exigées par les prétendants au Taçawwuf.
Le célèbre savant marocain, Cheikh `Abd Allâh Ibn As-Siddîq Al-Ghumârî, fils du Cheikh Muhammad ben Siddiq mentionné plus haut, fit son éloge dans son livre Sabîl At-Tawfîk (la Voie du Succès).
Wa Allahou A’lam
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(1) voir la citation correspondante tirée de Duur al-Mukhtar.
(2) Ibn al-Jawiz, Sifat-al-Safwa,
(3) Rapporté par le spécialiste du hadith Ahmad Zarruq, par al-Hafiz ‘Ali al-Qari al-Harawi et d'autres.
(4) Al-Hafiz al-soujouti, dans Ta’yid al-haqiya al’aliyya, p, 15 et aussi cité par ‘Ijluni dans son Kashf al-Khafa.
(5) voir p 205 le mémorial des saints de Attar.
(6) Cheikh Ahmed al-Kourdi “Tanwir al-Gouloub” p, 405.
(7) P. 212, le mémorial des saints, Attar.
(8) Al-Maqâsid fî At-Tawhîd wal-`Ibâdah wa Usûl At-Tasawwuf, p. 20, An-Nawawî.
(9) Voir p.138 Les dix règles du Soufisme de Al-Ghazâli chez Al Bouraq.
(10) Son ouvrage “ Al munqidh min- al-dalal ” sur les soufis : leurs conduites, leurs voies et les moyens de cheminer vers Dieu.
(11) Voir : Madjmû` Fatâwâ Ahmad Ibn Taymiyah, pp. 516-517, vol. 10.
(12) Dans le volume intitulé ‘Ilm as-Suluk, (la Science du voyage (initiatique) ou du cheminement vers Dieu), qui constitue en intégralité les 775 pages du volume 10 de Majma‘Un Al-Fatawa, il dit (p. 516) : « Les grands Cheikhs Soufis sont bien connus et acceptés « agréés », tels que : ABuyazîd Al-Bistâmi, Cheikh Abdoul Qâdir Jilâni, Junayd ibn Muhammad, Hasan Foudayl Al-Basri, Al-ibn Al-Ayyad, Ibrahim IBnu Al-Adham, Abi Souleyman ad-Daarani, Ma'rouf Al-Karkhi, Siri as-Saqati, Cheikh Hammad, Cheikh Abul Bayan….. Ces grands Soufis étaient les leaders de l'humanité (les pieux vertueux) et ils appelaient à ce qui était juste et interdisait ce qui était mauvais. »
(13) Référence tirée d’un manuscrit unique trouvé dans la Bibliothèque Princeton, dans un livre intitulé Targhib al-Mutahabbin fi labs Khirqat al-Mutammayyazan par Jamal ad-Din al-Talyani. Voici les propres mots d'Ibn Taymiyya, cités dans « al-Mas'ala» at-Tabraziyya : « j'ai porté le manteau Soufi béni de Cheikh Abdul Qâdir Jilâni, ayant entre lui et moi deux cheikhs Soufis. »
Dans un autre manuscrit il dit: « J'ai porté le manteau soufi d'un certain nombre de cheikhs Soufis, appartenant à des voies spirituelles diverses, parmi eux Abdul Qâdir Al-Jilâni, dont la Tariqa est la plus grande et la plus connue, que la miséricorde d'Allah soit sur lui. »
(14) p. 189 «enseignement spirituel» de Junayd traduit par Roger Deladrière, sindbad.
(15) p 151 Un Grand Saint de l’Islam abd al-kadîr Jilani
(16) p. 123 Un saint soufi du XXe siècle de Martin Lings, seuil.
(17) Ma`âlim Al-Mashrû` wa Al-Mamnû` min Mumârasat At-Tacawwuf Al-Mu`âsir.