LA TIDJANIYYA
1 – Le fondateur
Après la Qadiriyya, la Tidjaniyya est la deuxième confrérie exogène du Sénégal et la première par le nombre de ses adhérents même si en réalité personne ne sait exactement ce que représente numériquement la Mouridiyya sur l’ensemble de la population sénégalaise. Ce qui est par contre évident, c’est que jour après jour, de nombreuses personnes quittent les autres confréries exogènes et endogènes pour rejoindre cette tariqa emblématique, créée par un sénégalais, un sahélien noir, Cheikh Ahmadou Bamba. Il urge maintenant pour dissiper les doutes, de procéder à un recensement national et international pour clarifier les faits.
La Tidjianiyya fut fondée par Cheikh Muhammad Ibn Mukhtar al Tidjani au Maghreb vers la fin du XVIIIe siècle. Le Cheikh est né en 1737 à Aïn Madi dans le sud-algérien. Très jeune, il reçut une formation coranique très poussée, étudia les textes fondamentaux du droit musulman (usul al-fikr) comme la Rissala d’Abu Zayd, le Mukhtasar de Khalil, la Muquaddima d’Ibn Rushd…. Riche de toutes ces formations, al Tidjani s’engagea dans le soufisme. Il embrassa plusieurs wirds ; la Qadiriyya (en Tunisie et au Caire), la Nassiriyya, la Khalwatiyya (en Egypte) et d’autres encore qui tous lui assurèrent le titre de Cheikh.
De retour à Fès, il se donna comme mission la diffusion de ses idées qui constituèrent plus tard le socle de la tariqa. Al Tijani se consacra à l’enseignement du Coran. Il se rendit à la Mecque en 1762 à l’âge de 36 ans, et à partir de 1782, il se désintéressa de toutes les préoccupations de ce monde pour se consacrer à la piété et à la méditation qui devaient aboutir à sa rencontre avec le Prophète ; ce dernier lui apparut et lui ordonna d’abandonner les turuq qu’il avait adoptées et de recevoir désormais la charge de Calife du Messager en ces termes :
« Maintiens cette tariqa sans te retirer ni rompre le commerce des hommes jusqu’à ce que tu atteignes la station qui t’es promise, tout en gardant ton état, sans grande gêne ni effort culturel excessif, passe-toi de tous les saints ». 54
Ainsi, l’envoyé de Dieu, lui dictait directement la suprématie d’une nouvelle Voie qui devait être incarnée par lui. Cette vision s’est faite ’en état de veille et non de rêve’, au village d’Abu Samghoun. Ce fut donc une révolution par rapport aux autres Voies déjà existantes puisqu’aux talibés sont interdites toutes formes de mortifications imposées par les tariqa existantes auparavant. Ce nouveau wird doit être l’unique wird du postulant à la Voie et l’entrée dans cette Voie est définitive, toute affiliation précédente doit être obligatoirement abandonnée.
A Aïn Madi, le Cheikh se mit à éditer des zawiyas et à ordonner des muqqadam ; des représentants du Khalife, qui seront prêts à devenir des initiateurs de la confrérie. Mais, il dut bientôt faire face à de multiples problèmes car des rivalités se faisaient déjà jour entre ses disciples et les autorités ottomanes se mirent également à l’accabler. En 1838, l’émir Abd el Kader qui était affilié à la Qadiriyya (et était momentanément allié des Français) résolut de le chasser de cette partie du Sahara qu’il considérait comme relevant de ses Etats. Les troupes de l’Emir, soutenues par celles du Gouverneur général, le maréchal Valée, assiégèrent Aïn Madi et détruisirent la localité. Il n’eut d’autre ressource que de se réfugier à Fès ainsi que le sultan Moulay Souleyman l’y invitait. Là, il ouvrit une école d’où ses idées connurent une ample diffusion. C’est en cette ville que Tidjani s’éteignit le 19 septembre 1815, et son mausolée ne tarda pas à devenir un haut lieu de pèlerinage.
2 – Le Rituel
Outre les cinq piliers de l’Islam, l’appartenance à la Tidjaniyya repose sur trois conditions dont l’observance valide le rituel :
le rituel Lazim est récité individuellement après la prière du matin (fadjr) et après celle de la fin de l’après-midi (asr) ;
le rituel Wazifa se récite collectivement après la prière du Maghreb (au crépuscule) ;
le 3ème rituel, le Hadra est également récité en groupe au crépuscule de chaque vendredi.
Lors des récitations du dhikr, un pagne blanc est étalé sur la natte et c’est autour de ce pagne que les disciples tidjanes s‘adonnent à leurs rituels. Ces rituels de dhikrs sont complétés par d’autres comme le wird qui consiste en la récitation des formules suivantes :
’Je demande pardon à Dieu ’ 100 fois.
’Prière pour le Prophète ’ 100 fois.
’Il n’y a de Dieu qu’Allah et Muhammad est son messager ’ 100 fois.
La pratique de ces rituels ne peut se faire que quand le disciple a réuni un ensemble de conditions indissociables que l’on ne peut toutes citer ici :
le maître qui initie au wird doit avoir l’autorisation de le faire par une autorité dûment confirmée dans la Voie tidjane ;
le talibé ne doit pas être en possession d’un autre wird venant d’un autre maître non tidjane ;
il doit maintenir le wird jusqu’à la mort et ne pas le remettre, en retardant sa pratique :
obligation de participer au wazifa et au dkihr du vendredi après-midi et de faire les cinq prières en public ;
lecture de la Jawhara (la perle) ;
le disciple ne doit pas fréquenter un saint vivant ou se rendre auprès de sa tombe.
Il doit être loyal, sincère et aimer profondément son Cheikh ou le successeur de celui-ci…
La liste n’est pas exclusive. D’autres wirds moins fondamentaux, connus sous l’appellation de wird des zawiyas ou wirds du commun, peuvent compléter ces wirds fondamentaux.
3 – Le processus de pénétration de la tariqa au Sénégal
Cette nouvelle confrérie va se propager en Afrique du Nord, puis atteindre La Mecque grâce aux pèlerins, elle gagna ensuite le Sahara grâce à Muhammad al-Hafiz, un savant homme de la tribu des Idaw Ali (des lettres très influentes de Mauritanie) qui avait été initié par al Tidjani en personne. De retour chez lui, il convertit toute sa tribu jadis, acquise à la Qadiriyya avant sa mort en 1830. De cette conversion, nous assistâmes bientôt à une véritable chaîne de transmission de la Tidjaniyya dans le monde. La Voie va ainsi cheminer vers le Sénégal, la Guinée Conakry, le Mali….
Les acteurs principaux de ce cheminement, Cheikh Mauloud Val, un érudit maure et Abd al Karim, un savant peul du Fouta Djallon, initièrent El Hadj Omar au soufisme vers 1820. Plus tard, entre 1828-1830, le Hadj alla s’initier directement sur les lieux saints de l’Islam auprès de Muhammad al Ghali, un disciple direct du fondateur de la Tariqa qui le nomma représentant de l’ordre tidjane pour toute l’Afrique de l’Ouest. Convaincu de la suprématie de sa tariqa, El Hadj Omar se lança dans une vaste entreprise de prosélytisme religieux et confrérique, dès son retour de la Mecque. Il se rendit au Sokoto (Nigeria) et y donna sa fille en mariage. Puis, il se dirigea vers le Macina (Mali), le Fouta Djallon (Guinée) avant de rentrer chez lui au Fouta Toro (Sénégal).
Le marabout poursuivit ainsi ses pérégrinations dans le but de rassembler tous les musulmans de l’Afrique de l’Ouest sous sa bannière, quitte à s’imposer, par la guerre sainte. Le fondateur de la Tidjaniyya sénégalaise laissera en héritage une œuvre impressionnante consacrée à la doctrine de la Tidjaniyya sous le nom de Rimah (le livre des lances) achevé en 1845. Ce document devient la référence des Africains de l’Ouest cheminant dans la Voie Tidjane.
Cette Voie, qui s’est bien disséminée dans l’espace, a fini par se subdiviser en plusieurs branches souvent rivales et indépendantes des maisons mères d’Afrique du Nord (Algérie et Maroc).
Au Sénégal, après El Hadj Omar Tall, plusieurs familles représentèrent la tariqa, soit par une présence discrète, soit de façon visible. Ainsi, sa descendance à travers Seydou Nourou Tall et sa famille dans le Fouta Toro et à Dakar, Cheikh Ahmad Dème et sa famille à Sokone, on retrouve à Louga la famille Malick Sall, à Kolda, la famille Tall, la famille d’El Hadj Thierno Barro de Mbour, la famille de Tafsir Amadou Barro Ndiéguène de Thiès, la famille Cissé de Diamal, la famille Watt de Saint-Louis, la descendance de Chérif Younouss Aïdara de Baghère près de Tanaff (Kolda), les Thierno de la famille Bâ de Médina Gounasse très proches des enseignements de El Hadj Omar, ainsi que la famille de Amary Seck de Thiénaba restèrent fidèles à ses enseignements. Deux autres familles émergèrent du lot tidjane : il s’agit de la famille Niasse de Kaolack et la famille Sy de Tivaouane dont l’ancêtre, El Hadj Malick Sy fut à l’origine de la vulgarisation de la tariqa.
a – El Hadj Malick Sy et la consolidation de la
Tidjaniyya sénégalaise
Le saint homme est né à Gaya près de Dagana (Sénégal). Il est l’un des héritiers de la chaîne Omarienne et mauritanienne. Auparavant, El Hadj Malick Sy se forma auprès de son oncle maternel Alpha Mayoro qui l’amena à la tariqa Tidjane.
Doué d’une intelligence extraordinaire, El Hadj Malick intégra très vite toutes les disciplines liées à l’Islam et en 1889, il accomplit son pèlerinage à la Mecque. Comme la plupart des marabouts, il se livra à de multiples pérégrinations à travers le Sénégal qui le menèrent à Saint-Louis, au Gandiol, à Ndiardé, à Louga et finit par s’installer à Tivaouane. Ses activités préférées furent la transmission du savoir et la mise en valeur des terres surtout à travers des champs de Ndiardé près de Pire ainsi qu’à Diacksao.
Les talibés qui aspirent à s’initier auprès du marabout viennent de partout, le nombre peut atteindre des pics impressionnants allant jusqu’à 250 novices selon les saisons et c’est le marabout lui-même et ses proches qui se chargent de leur formation, ce qui témoigne de la qualité et du sérieux des enseignements religieux qui étaient d’ailleurs dispensés gracieusement si bien que l’école de Tivaouane fut assimilée à une véritable ’université populaire’. Au sortir de cette université, les apprenants devenus Cheikh avaient la capacité d’aller ouvrir d’autres écoles coraniques. C’est ainsi que l’ensemble du territoire sénégalais fut quadrillé par la tariqa.
D’ailleurs, à cette époque, selon P. Marty, El Hadj Malick Sy était considéré comme étant :
« Le plus instruit et le mieux à rendre clairement ce qu’il a acquis (…), écrit avec une simplicité et une élégance que l’on pourrait souhaiter à beaucoup d’écrivains arabes ».
Cependant, de temps en temps, quelques parents donnaient sans aucune obligation, des offrandes au Cheikh et en période hivernale, les talibés cultivaient le champ du maître.
El Hadj Malick Sy a également fondé à Dakar une importante école qui joua un rôle déterminant dans la propagation de la confrérie tidjane. Selon El Hadj Rawane Mbaye :
« Le rôle qu’il avait choisi de jouer est celui du berger, tantôt au milieu de son troupeau, tantôt derrière lui. Dès lors, l’on ne s’étonnerait point en le voyant assis du début de la matinée jusqu’à la fin de la journée dispenser les cours, exhortant, donnant des consultations juridiques, réglant des litiges notamment matrimoniaux, accueillant des hôtes… ». 55
A sa disparition, le 27 juin 1922, son second fils El Hadj Babacar Sy (1885-1957) lui succéda, l’aîné, Ahmadou Sy (1883-1916) ayant péri pendant la Première Guerre Mondiale à Salonique en Grèce. Le troisième fils, El Hadj Mouhamadoul Mansour Sy (1902-1957), décédera trois jours plus tard. Cette disparition ouvrira les portes du khalifat à son quatrième fils, El Hadj Abdoul Aziz Sy Dabakh (1904-1997) pour une période de quarante ans (1957-1997). Le tidjane s’illustra non seulement par son érudition mais aussi par ses prêches, son engagement pour la cause islamique, ses nombreux écrits en arabe et une importante biographie de son père, El Hadj Malick Sy.
Durant le Gamou de Tivaouane célébrant l’anniversaire de la naissance du Prophète, les confréries rivalisent d’ardeur et de volonté de domination, confrontant ainsi leur poids dans la société ainsi que leur audience nationale et internationale.
Photo 2 : El Malick Sy et l’expansion de la tidjaniyya
b – La Tidjaniyya niassène de Kaolack
Une autre branche importante de la Tidjaniyya est représentée par la famille de Abdoulaye Niasse (1840-1922) de Kaolack. Ce marabout du Djolof, mena la guerre sainte au côté du marabout Maba Diakhou à Nioro du Rip en 1888 avant de s’installer au Sine-Saloum pour y propager l’Islam en 1910. Il participa même activement à l’islamisation d’ethnies très réfractaires à l’Islam : les Sérères. C’est en 1875 qu’il s’initia à la tariqa par l’intermédiaire d’un savant du Fouta Djallon, Cheikh Mamadou Diallo. En 1887, il se rendit à la Mecque, puis à Fès, et finit ensuite par s’installer en Gambie sous contrôle britannique, car il était en mésintelligence avec les autorités coloniales françaises de l’époque.
Le marabout entretient des relations poussées avec la Tidjaniyya algérienne d’Aïn Madi et toujours dans le but de consolider sa position et ses idées tidjanes, le Niassène se rendit de nouveau à Fès en 1903 pour renouveler son appartenance à la Tidjaniyya auprès de Sukairidj, un éminent dirigeant de la tariqa, tout en gardant des liens d’amitié avec El Hadj Malick Sy qui, d’ailleurs intercéda auprès des autorités françaises pour son retour définitif au Sénégal en 1910, après un long établissement en Gambie.
Sous l’action combinée de ces deux personnages emblématiques, la Tidjaniyya est devenue la première confrérie musulmane au Sénégal, au détriment de la Qadiriyya qui entama petit à petit son déclin. Malheureusement, leurs héritiers n’ont pu perpétuer cette sainte entente et à partir des années 30, leurs relations se refroidirent.
En effet, à la mort du marabout, c’est son fils El Hadj Ibrahima Niasse qui lui succéda à la tête de la confrérie niassène. Considéré comme un savant ayant écrit plusieurs documents islamiques, s’étant formé en Mauritanie avant de se rendre en pèlerinage à la Mecque, Ibrahima Niasse, comme la plupart des chefs religieux sollicita sa reconnaissance par les autorités de la tariqa. Il fut comblé puisque non seulement il fut considéré comme le ’Khalife de la confrérie’ mais mieux, il fut nommé ’ghawth al zaman’ ’secours de l’époque’. 56
Lors de ce pèlerinage, il obtint une importante adhésion en la personne d’Abdallah Bayero, l’émir de Kano, la plus importante ville du nord du Nigeria. Séduit par la somme de connaissances du Niassène, ce dernier l’invita au Nigeria et il séjourna principalement à Kano et à Sokoto. Cependant, il est à noter que le succès de cette branche de la Tidjaniyya sénégalaise ne se limite pas seulement au Nigeria, elle a acquis une audience internationale, s’étendant en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest, en Chine, en Europe, aux Etats-Unis…. En revanche, c’est une confrérie de moindre importance sur le plan national. Son succès est dû à sa vision moderne de la vie, elle prône une meilleure éducation des femmes, la création d’écoles et la généralisation de l’instruction qu’elle soit scientifique ou initiatique.
Les descendants de la famille Niasse poursuivent l’œuvre de leurs ancêtres. L’actuel Khalife général des Niassènes est Ahmed Khalifa Niasse aujourd’hui surnommé ’l’Ayatollah de Kaolack’ un marabout instruit, maîtrisant le Français et l’Arabe à la perfection, profondément doué pour la polémique. Il se fit également connaître pour ses prises de positions en faveur de la révision de la constitution sénégalaise et de l’instauration d’un régime islamique ; En 1979, le marabout proclama la ’guerre sainte’ contre le gouvernement et le président Senghor.
Dans cette entreprise, il serait soutenu et encouragé moralement et financièrement par la Libye du colonel Mouammar Kadhafi. La propagande de déstabilisation à laquelle le marabout se livrait fut même couronnée de succès en Casamance et en Gambie. La Libye se servit également de lui comme d’un agent recruteur pour grossir les rangs de la légion islamique. 57 Ahmed Khalifa Niasse est aussi un homme d’affaires des plus avisés, investissant dans plusieurs branches d’activité et en particulier dans le domaine de l’agriculture, car il a fondé un « Institut Islamique Agricole ».
Plus récemment, le Cheikh vient également de se lancer dans la politique en créant son propre parti, le F.A.P. (Front des Alliances Patriotiques), le 4 août 2000. Il est un proche de l’ancien président Abdou Diouf. Il critique le nouveau pouvoir et réclame la démission du président Abdoulaye Wade pour cause de ’sénilité’, le Président étant âgé d’environ 80 ans.
Ecoutons ses propos :
«Ses multiples dérapages de langage qui sont faits de contradictions, de dédits voire d’oublis que l’on a pu constater ces derniers temps prouvent qu’il ne jouit pas de toutes ses facultés mentales ». 58
L’’Ayatollah’ de Kaolack s’apprêtait :
« A déposer à l’Assemblée Nationale, une lettre invitant la Chambre des Députés à constater les faits au nom du peuple afin de chercher une issue honorable à l’actuel Président de la République avant qu’il ne soit trop tard ».
Quand survint un total revirement dans son attitude. Malgré toutes ces critiques virulentes et publiques ou justement à cause de ces violences verbales, le marabout est en effet apparemment revenu sur toutes ses prises de position antérieures en rejoignant la mouvance présidentielle lors des élections législatives d’avril 2001 et en s’affirmant comme l’un des plus fidèles partisans d’Abdoulaye Wade.
Photo 3 : Cheikh Al Islam El Hadji Ibrahima Niasse (dit Baye Niasse) Fils de El Hadji Abdoulaye Niasse
Fondateur de la tidjaniyya niassène de Kaolack
c – La Tidjaniyya de Médina Gounasse
(Haute Casamance)
Une des branches de la Tidjaniyya qualifiée d’Omarienne, très proche de la doctrine de El Hadj Omar Tall, est la Tidjaniyya de Médina Gounasse, incarnée par les Thierno de la famille Bâ d’ethnie Toucouleur. Le fondateur du village, Thierno Mamadou Seydou Bâ serait originaire du Fouta-Toro. Ses fidèles qui restent essentiellement Halpular (Toucouleur, Peul…) aspirent à un Islam débarrassé de tout modernisme, un Islam rigoriste, basé sur la stricte observance des lois islamiques. Toute la vie quotidienne de ce village est rythmée par l’observance des règles de l’Islam. Même les toutes petites filles sont voilées en permanence.
On y observe une séparation stricte entre hommes et femmes dans presque toutes les activités de ce village, toute promiscuité entre sexes est exclue, hommes et femmes ne se serrent pas la main, même lors du daka, le maouloud, les hommes s’isolent, seuls dans la brousse, loin des regards indiscrets des femmes pour s’adonner aux dhikrs, à la récitation du Coran, à une meilleure connaissance de Dieu, aucune présence féminine n y est tolérée, les hommes apportent leur propre nourriture pour une durée d’une dizaine de jours. Comme l’a déjà décrit Magassouba,
« …il n’y avait ni école, ni bureau de poste, ni gendarmerie, ni bureau d’Etat Civil, bref aucune structure administrative de l’Etat sénégalais ». 59
Ils se considèrent comme étant les authentiques représentants de l’Islam pur, orthodoxe, ont des disciples et des représentants partout au Sénégal, aux Etats-Unis, en Italie et surtout en France, en particulier à Mantes-la-Jolie et aux Mureaux. Toute la vie du disciple, de la naissance à la mort, en passant par le mariage, est régie par le Thierno, le marabout. C’est lui-même ou son représentant qui célèbre le ’baptême’, autorise le mariage ou éventuellement le divorce. La Tidjaniyya de Médina Gounasse est respectée des autres confréries religieuses sénégalaises. En dehors de ses préoccupations proprement religieuses, la confrérie s’adonne à diverses autres activités basées sur la culture de l’arachide et sur le commerce. Les ramifications de la tidjaniyya ne s’arrêtent pas là.
d – « Dahiratoul Moustarchidine Wal Moustarchidati
(D.M.W.M) » (les gens remplis de sagesse)
Cette branche mène la lutte pour un idéal religieux qui serait capable de régénérer la foi en Dieu et au Prophète et surtout de mener la guerre contre les confréries, les différentes communautés islamiques du Sénégal en mettant un terme à leur conflit de préséance. La D.M.W.M. et ses dirigeants ne reconnaissent pas les khalifes généraux de Tivaouane, ils se présentent exclusivement comme étant des disciples passionnés de Cheikh Tidiane Sy et de feu Khalifa Ababacar Sy dont Cheikh Tidiane Sy serait le fils spirituel. Par conséquent, il est le Cheikh réel aujourd’hui et mérite seul considération et allégeance, déniant ainsi aux successeurs de Ababacar Sy ; ses cousins feu Abdoul Aziz Sy ’le bien aimé’ de son peuple, le sage, et l’actuel Khalife général des Tidjanes Serigne Mansour Sy, toute autorité ou une quelconque préséance sur lui, Cheikh Tidiane Sy.
Le but de cet appendice de la Tidjaniyya était de se tenir au-dessus des confréries, de s’élargir même aux non-musulmans, par le rassemblement de tous les jeunes quelle que soit leur religion pour une concertation permanente dans le but de réaliser un idéal religieux en direction de Dieu. Cette ambition œcuménique n’a jamais été atteinte. Très vite, ce rassemblement dévia de son but premier et devint sectaire, voire familial et il a plutôt pris la forme d’un mouvement contestataire et politique. Dès le 20 janvier 1986, les chrétiens qui avaient donné leur accord se désolidarisèrent de ce mouvement, de même que les autres confréries (mourides) à cause de la virulence des propos du Cheikh.
Le chef spirituel des D.M.W.M. est Serigne Cheikh Tidjane Sy, appelé affectueusement Serigne Cheikh et son fils Moustapha Sy en est le guide moral. La D.M.W.M. dispose sur l’ensemble du territoire, de nombreuses cellules placées sous la tutelle de responsables départementaux et régionaux. Elle est également présente dans les pays limitrophes (Côte d’Ivoire, Mali, Mauritanie…). Elle a aussi entrepris un programme d’implantation dans les écoles. Il est difficile d’évaluer la représentativité du mouvement mais les ziarras et les Gamou drainent des milliers de personnes. La confrérie et l’étude des Taïsyr (psaumes rédigées par El Hadj Malick Sy) sont les moyens d’action essentiels de l’association. La D.M.W.M. entretient aussi des œuvres sociales et s’investit dans des actions de reboisement et autres investissements humains. En 1989, elle organisa un colloque international sur la jeunesse musulmane au CICES de Dakar.
Les moustarchidines prônent :
l’abrogation du code de la famille (jugé contraire aux fondements de l’Islam) ;
la prise en compte de la dimension islamique dans l’élaboration de la politique économique et sociale du pays.
C’est à partir de 1986 que la contestation déborde des questions religieuses et s’oriente vers le politique en critiquant ouvertement les autorités. Les membres de la confrérie allaient définitivement rallier le camp de l’opposition, le 13 février 1993, quand Moustapha Sy, au cours d’une conférence à Thiès (le berceau des moustarchidines) n’hésita pas à s’attaquer à la personne du président Abdou Diouf, ce qui a entraîné une vive émotion dans le pays et toujours en 1993, il finit par appeler à voter pour Abdoulaye Wade. En janvier 1994, il a été condamné, par défaut à un an de prison, pour ’manœuvres et actes de nature à déstabiliser l’Etat’ notamment à raison de propos tenus lors d’un rassemblement du P.D.S..
En février 1994, une foule déchaînée de jeunes manifestants se réclamant du mouvement islamique D.M.W.M. et dont la plupart brandissent des armes blanches (couteaux, haches, coupe-coupe…), se répandit brusquement dans les principales artères de Dakar, se livra à des déprédations importantes, avec incendies et même mort de policiers.
Dès le lendemain des émeutes, le gouvernement sénégalais interdit toute activité et la plupart des leaders de ce mouvement furent arrêtés et emprisonnés de même que ceux des principaux partis d’opposition (P.D.S., …).
Les Moustarchidines ont un parti crée en 1999 le P.U.R (Parti pour l’Unité et le Rassemblement) dont la capacité de mobilisation en a fait une machine électorale partout courtisée. Leur responsable morale, le fils de Serigne Cheikh Tidjane Sy, Moustapha, en est le président. Contrairement à l’avis de son père, le P.U.R a appelé à voter pour Abdoulaye Wade au dpersonne. Les confréries endogènes, elles symbolisent jusqu’à maintenant une certaine unité et l’existence d’un seul khalife général. Nous tenterons maintenant de terminer cette première partie par l’étude des deux confréries endogènes sénégalaises euxième tour des présidentielles de 2000.
Les deux premières confréries exogènes déjà étudiées : la Qadiriyya et la Tidjaniyya se caractérisent par un manque d’unité, un formidable esprit d’indépendance, chaque branche confrérique étant doté de son propre khalife général qui ne rend compte à : la Mouridiyya et la Layéniyya.
Cheikh Tidjane Sy guide spirituel des Moustarchidines