"L’homme, dans ce monde aux multiples couleurs,
à chaque instant se lamente,
comme le luth.
Le désir de trouver un ami qui le comprenne
Le consume et lui inspire un chant
Qui déchire le cœur.
Mais ,ce monde fait d’eau et d’argile,
Comment pourrait-on dire qu’il possède un cœur ?
………..
Bien qu’au firmament ,il y ait des multitudes d’étoiles,
Chacune est plus solitaire que l’autre ;
Comme nous, chacune est impuissante et
Comme nous errante dans l’immensité azurée.
C’est comme une caravane qui n’a pas pris suffisamment de provisions
Pour son voyage : les cieux lui paraissent illimités
Et les nuits trop longues.
Ce monde est-il une proie,
Dont nous serions les chasseurs ?
Ou sommes-nous que des prisonniers oubliés ?
A mes gémissements, aucune voix n’a répondu.
Ou donc l’homme peut-il trouver un ami qui le comprenne ?
J’ai vu que le jour de cet univers qui s’étend dans les autres directions,
Dont la lumière illumine le palais et la cabane,
Tire son existence de la révolution d’une planète
Et ne dure que le temps de dire : il était là, il est parti!
Oh ! heureux le jour qui n’appartient pas au temps,
Dont le matin n’a ni midi ni soir,
Un jour dont la lumière
Rend l’âme lumineuse,
Et grâce auquel on peut voir le son comme la couleur !
Par son éclat, toutes les choses absentes
Deviennent présentes ;
Il dure éternellement.
O Seigneur, fais-moi la grâce d’un tel jour,
Libère-moi de ce jour sans ardeur !
…….
J’ai vécu dans la séparation d’avec Toi :
Montre-moi l’au-delà de cette voûte azurée ;
Ouvre-moi les portes fermées,
Fais de la terre la confidente du ciel !
Allume dans mon sein un feu ;
Laisse l’encens et brûle le bois,
Puis mets-y de nouveau mon encens et
Répands-en sur le monde la fumée ;
Attise la chaleur de ma coupe,
Jette un regard sur moi.
Nous Te cherchons
Et tu es loin de nos yeux ;
Mais non, nous sommes aveugles,
Et Tu es Présent !
Ou bien écarte ce voile du mystère,
Ou bien enlève-nous cette âme privée de vision.
L’arbre de mon esprit désespère de porter des feuilles et des fruits :
Envoie donc une hache,
Ou alors la brise du matin.
Tu m’as donné la raison,
Donne-moi aussi la folie,
Montre-moi la voie de l’extase intérieure !
La science demeure dans la pensée ;
L’amour fait son nid dans le cœur vigilant.
…….
Accorde une halte à ce cœur errant,
Redonne à la lune la plénitude de son éclat.
Bien que de ma terre ne fleurissent que des discours,
Le langage de la nostalgie n’a jamais de fin !
Sous cette voûte céleste, je me sens étranger :
D’au-delà du firmament, redis-moi :
« En vérité, Je suis tout près de toi » (Coran L, 16)
afin que, comme le soleil et la lune,
s’évanouissent les quatre directions de l’espace,
ce nord, ce midi, que j’échappe à cet ensorcellement
de l’hier et du demain,
et que je dépasse le soleil, le lune et les pléiades !
Tu es la splendeur éternelle et nous,
Pareils à des étincelles,
Nous ne durons qu’un ou deux instants,
Et encore nous sont-ils prêtés !
…..
Je suis éphémère, rends-moi éternel ;
Je suis de la terre, rends-moi du ciel.
Rends-moi ferme dans la parole et dans l’action ;
Les routes sont visibles,
Accorde-moi d’y marcher……."
(Iqbal, « Le Livre de l’Eternité », traduction d’Eva de Vitray-Meyerovitch et Mohammad Mokri, Albin Michel)