Il y avait un porteur d’eau qui possédait un âne courbé en deux ,comme un cerceau par l’infirmité.
Son dos était écorché en cent endroits par les lourds fardeaux ; il souhaitait passionnément le jour de sa mort.
Que dire de l’orge ? Il ne recevait même pas son content de paille sèche. A ses talons, des coups et un aiguillon de fer.
Le maître de l’écurie royale le vit et en eut pitié – car il connaissait le propriétaire de l’âne ;
Aussi, il le salua et lui demanda ce qui était arrivé : « Pourquoi cet âne est-il courbé en deux comme la lettre dâl ? »
Il répondit : « A cause de ma pauvreté et de mon dénuement, cet animal muet ne reçoit même pas de la paille. »
« Confie-le-moi, dit l’autre, pour quelques jours, afin que dans l’écurie du roi il puisse devenir fort. »
Il lui relit l’âne, et cet homme miséricordieux l’attacha dans l’écurie du sultan.
L’âne vit tout autour de lui des chevaux arabes, bien nourris, gros, beaux, au poil luisant.
Il vit la terre balayée sous leurs pieds et aspergée d’eau ; la paille venant en son temps, et l’orge à l’heure dite.
Il vit les chevaux étrillés et bouchonnés. Alors, il leva son museau, disant : « «Ô Seigneur glorieux !
« Ne suis-je pas Ta créature ? Je reconnais que je suis un âne, mais pourquoi suis-je misérable, avec des plaies sur le dos, et maigre ?
« La nuit, à cause de la douleur de mon dos et de la faim dans mon ventre, je désire toujours mourir.
« Ces chevaux sont si heureux et prospères : pourquoi suis-je seul à subir les tourments et les tribulations ? »
Soudain, arriva l’annonce de la guerre ; ce fut le temps pour les chevaux arabes d’être sellés et appelés à l’action.
Ils furent blessés de flèches par l’ennemi ; les barbillons pénétrèrent dans leurs corps de tous côtés.
Quand ces chevaux arabes revinrent du combat, ils tombèrent tous, gisant sur le dos dans l’écurie.
Leurs jambes étaient étroitement bandées avec des morceaux de toile ; les vétérinaires faisaient la queue,
Perçant les corps de leur scalpel pour extraire les barbillons des flèches de leurs plaies.
L’âne vit tout cela, et dit : « Ô mon Dieu, je me contente de la pauvreté et de la santé.
« Je n’ai pas de goût pour cette nourriture et ces affreuses blessures. » Quiconque désire la santé (spirituelle) renonce à ce monde. MATHNAWÎ Livre cinquième 2361-2381