e Soufisme, voie initiatique et spirituelle de l'Islam, a toujours entretenu avec l'Art, particulièrement la poésie et la musique, des rapports privilégiés.Travaillant à transformer la nature intime de l'Etre, voie de connaissance ouvrant l'homme aux réalités sensibles du Divin, le soufisme, par l'intensité et la profondeur des perceptions qu'il suscite, a ainsi permis une abondante production de textes, souvent mis en musique, témoignant et tentant de rendre compte, si tant est que cela soit possible, des états spirituels vécus par les Mystiques, Derviches, Fakirs et autres Pauvres en Dieu, cheminant sur le sentier difficile de la Réalisation.
Depuis les premiers siècles de l'Hégire, et jusqu'à nos jours, ont ainsi fleuri du Maghreb jusqu'à la Perse, en passant par la Turquie, l'Egypte, les Balkans, l'Iraq ou l'Afghanistan, quantités de poèmes et de chants, centrés sur le thème de la recherche de Dieu, avec ses joies et ses peines, ses bonheurs et tribulations. Les musiques populaires ou savantes de ce vaste monde oriental, arabes, persanes,turques ou égyptiennes, par leur délicatesse et surtout leur profondeur, ont été souvent les montures idéales de ces textes, habités par l'Amour de Dieu.Bien souvent aussi d'ailleurs, les musiciens eux-mêmes étaient directement affiliés à une confrérie soufie, ce qui rendait cette relation parfaitement naturelle.
A l'inverse, certains mystiques ou spirituels atteignaient spontanément, par une sorte de grâce, due à la profondeur de leurs visions, à des richesses poétiques qui dépassaient parfois en Beauté et surtout en densité, les plus belles productions littéraires. Poèmes traduisant à travers le langage du symbole ou de l'allusion, de profondes réalités spirituelles, musiques évoquant à travers les inflexions des voix et des instruments les élans irrépressibles de l'Ame en quête de son Créateur, ont ainsi dessiné au cours des siècles un vaste et superbe patrimoine où l'Art et le Divin sont inextricablement lié. La musique persane, savante ou populaire, est l'une des dépositaires les plus importantes de cette riche tradition. A l'instar du système des Ragas de l'Inde ou des Maqams du monde arabe, le Radif, système traditionnel des modes de la musique savante persane, a développé une science extrêmement subtile et profonde de l'expressivité musicale, englobant les niveaux multiples de l'être. A ce titre, et par la qualité spécifique des instruments qu'elle utilise, la musique persane a été depuis très longtemps, un des meilleurs vecteurs d'expression de ces états mystiques et spirituels qui sont propres au Soufisme, et dont la vaste aire géographique de la Perse ancienne a été l'une des terres d'élection.
C'est à travers les sonorités cristallines et célestes du Santour, et les rythmes complexes et profonds du Zarb, que Hassan Tabar et Bijane Chemirani ont choisi de se livrer à ce dialogue musical, métaphore de cet autre dialogue intime entre la créature et son Créateur, entre le maître et son disciple, qu'est le cheminement spirituel. Cette musique des coeurs, où alternent solos de Santour, empreints de nostalgie et duos aux rythmes plus enjoués, est ponctuée par des lectures de poèmes soufis, tirés des diverses traditions locales du monde musulman. Lus par Gérard Kurdjian, des textes de l'Émir Abdel Qader l'Algérien, de Djallaleddin Rûmi, de Mansour Hallaj, de Sidi Aboumediane, de Hafez, de Kabir, viennent ponctuer la trame musicale, révélant, relayant et amplifiant avec le souffle de la parole, le souffle de la musique.
Expérience unique où, à travers la beauté des musiques et des textes, s'offrent les saveurs d'une grande voie spirituelle, qui, depuis des siècles, féconde cet Orient mythique qui s'étend du Maghreb jusqu'aux confins de l'Asie, ce concert est une célébration, un moment de remémoration, où, comme dans la cérémonie du Dhikr, l'auditeur est convoqué à l'écoute de sa propre intimité.