Un certain prédicateur, chaque fois qu’il montait en chaire, commençait par prier pour les bandits de grand chemin.
Il levait les mains, disant : « Ô Seigneur, que la miséricorde tombe sur les hommes méchants, les corrupteurs et pécheurs insolents,
« Sur tous ceux qui tournent en dérision les gens de bien, sur tous ceux dont les cœurs sont incroyants et ceux qui demeurent dans le monastère chrétien. »
Il ne priait pas pour ceux qui sont purs ; il ne priait que pour les pervers.
On lui dit : « C’est là une chose incroyable : ce n’est pas de la générosité que de prier pour les gens mauvais. »
Il répondit : « J’ai reçu des bienfaits de la part de ces gens : c’est la raison pour laquelle j’ai choisi de prier pour eux.
« Ils se sont livrés à tant de méchanceté, d’injustice et d’oppression qu’ils m’ont fait passer du mal au bien.
« Chaque fois que je tournais mon visage vers ce monde, je subissais des coups et des attaques de leur part,
« Et je prenais refuge contre ces coups dans l’au-delà : les loups me ramenaient toujours dans le droit chemin.
« Puisqu’ils ont été les moyens de mon bien-être spirituel, il convient que je prie pour eux, ô homme intelligent. »
Le serviteur de Dieu se plaint à Lui de la souffrance et des blessures : il se plaint cent fois de sa peine.
Dieu dit : « Après tout, le chagrin et la souffrance t’ont rendu humblement implorant et juste.
« Plains-toi de la bonté qui t’est octroyée et t’éloigne de Mon seuil et fait de toi un réprouvé. »
En réalité, chacun de tes ennemis est ton remède : c’est un élixir, il est bénéfique et est pour toi un vrai ami ;
Car tu t’enfuis loin de lui dans la solitude et implores le secours de la grâce de Dieu.
Tes amis sont en réalité tes ennemis, car ils t’éloignent de
la Présence divine et te rendent occupé avec eux.
Il existe un animal dont le nom est ushghur (hérisson) : il est rendu plus fort et gros par les coups de bâton.
Plus on le frappe, plus il grandit et grossit (sort ses piquants).
Assurément, l’âme du vrai croyant est semblable au hérisson, car elle est rendue forte par les coups de la tribulation.
Pour cette raison, les épreuves et humiliations subies par les prophètes sont plus grandes que celles éprouvées par toutes les autres créatures du monde.
De sorte que leurs âmes sont devenues plus fortes que toutes les autres âmes ; car aucune autre catégorie d’hommes ne subit de telles afflictions.
Le cuir est éprouvé par la drogue (du tanneur), mais il devient souple comme la plume de Ta’if.
Et si le tanneur ne le frottait pas avec ce liquide amer et acide, il deviendrait fétide, laid et de mauvaise odeur.
Sache que l’homme est un cuir non tanné, rendu rude et grossier par les humeurs ;
Il faut lui appliquer un traitement dur et sévère et beaucoup de tribulation, pour qu’il puisse devenir pur, beau et très fort ;
Mais si tune peux te mortifier toi-même, sois heureux, ô homme sagace, si Dieu t’envoie des tribulations sans que tu les aies choisies.
Car l’affliction envoyée par l’Ami est le moyen de ta purification : Sa connaissance est au-delà de ta perception.
L’affliction devient douce quand on voit le bonheur ; le remède devient doux, quand on voit la santé. »
MATHNAWÎ Livre quatrième 81-108